ÉTUDE HISTORIQUE ET ETHNOLOGIQUE DES "PETITS PORTS" DE L'ESTUAIRE DE LA LOIRE |
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Histoire
des aménagements portuaires
Fonctionnements et usages |
Les " petits ports " de la
Basse-Loire ou la " face cachée " de l'estuaire _______________________________________________ Auteurs : Yves LE MAITRE et Eric LEMERLE (Article extrait du numéro 5 de la revue Æstuaria, cultures et développement durable) |
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Æstuaria
n°5 - 2004
Collection Les dossiers d'Ethnopôle Pour une géoarchéologie des estuaires éd. ESTUARIUM. 395 p.+ 20 planches couleur hors texte |
Depuis une quinzaine d'années, plusieurs communes soucieuses de valoriser leur patrimoine fluvio-maritime ont entrepris de restaurer leur " petit port ", disparu sous les alluvions, pour retrouver un point de contact physique avec le fleuve. C'est le cas de Bouguenais à Port-Lavigne, de Lavau-sur-Loire, de Cordemais, et depuis peu de Couëron. Les " petits ports ", telle était l'appellation donnée au XIXe siècle par les ingénieurs des Ponts et Chaussées aux sites d'embarquement et de débarquement d'hommes et de marchandises des communes riveraines de la Loire maritime, entre Nantes et Saint-Nazaire. Cette appellation permettait aux ingénieurs en charge des questions d'aménagement portuaire de bien différencier les infrastructures à usage local de celles relevant du grand port de Nantes et qui s'inscrivaient dans une toute autre échelle, nationale et internationale. Victimes du colmatage alluvionnaire lié à l'évolution morphologique de l'estuaire - naturelle ou délibérément accélérée par la main de l'homme - nombre de ces " petits ports " ont aujourd'hui disparus du paysage. Des travaux précédents avaient conduit à faire la distinction entre ceux qui ont été complètement fossilisés par les alluvions, qualifiés de " ports-fossiles ", et ceux dont subsistent encore les traces dans le paysage, les " ports-reliques " . Témoins privilégiés de l'évolution géomorphologique
de l'estuaire, les " petits ports " constituent des objets patrimoniaux
particulièrement intéressants pour qui s'intéresse
à l'identité culturelle de ce territoire de Basse-Loire.
Dans le cadre de son programme d'étude " Corbilo " consacré
aux paléoports, l'ethnopôle Estuarium a engagé en
2003 une étude historique et ethnologique des " petits ports
" de la Basse-Loire en avançant l'idée qu'ils pouvaient
constituer une porte d'entrée privilégiée pour comprendre
la " face cachée " de l'estuaire, son identité
profonde et méconnue. Où sont-ils situés ? De quand
datent-ils ? Quels étaient leur importance et leur rôle dans
le fonctionnement de l'économie estuarienne ? Quels usages leur
attribuait-on ? Á partir de quand ont-ils commencé à
disparaître ? Pourquoi font-ils l'objet d'une réhabilitation
? Á quelle fin ? Ont-ils un avenir " métropolitain
" et si oui, pourquoi ? En quoi renseignent-ils sur l'identité
culturelle de l'estuaire ? Autant de questions qui guident notre réflexion
depuis plus d'un an d'exploration de ces lieux de mémoire invitant
à mieux connaître l'intimité de ce qu'il conviendrait
de nommer un " autre estuaire ". Voici quelques éléments
de réponse.
I - De l'origine des petits ports Or c'est au Moyen Âge, principalement à partir de l'an mil, après les dévastatrices invasions vikings des IXe et Xe siècles, que le commerce maritime commence à se développer nécessitant des infrastructures portuaires adaptées. Progressivement la baie de Bourgneuf n'est plus la seule destination maritime du trafic de marchandises avec l'Aquitaine au sud ou les comptoirs hanséatiques du Nord. La multiplication des échanges commerciaux entre Nantes et l'Atlantique va commencer à faire jouer à l'estuaire un rôle portuaire important. L'évolution du trafic fluvio-maritime est surtout marquée à cette période par la construction au XIe siècle d'un élément géostratégique déterminant pour l'économie du pays nantais : une ligne de ponts qui crée pour la première fois un axe routier nord-sud et qui place le carrefour nantais en position favorable pour le développement économique régional. La convergence des trafics routiers, maritimes et fluviaux, amène ainsi au XIVe siècle la mise en place d'un nouveau complexe commercial dont on peut raisonnablement penser qu'il va profiter à l'ensemble du système portuaire estuarien.
II - Cordemais : un site référent pour comprendre la dynamique espace-temps du petit port d'estuaire Situé sur la rive droite du fleuve, à mi-chemin entre Nantes et Saint-Nazaire, le bourg actuel date des années 1040-1051 d'après Noël Yves Tonnerre . Sa Position en bordure de la Loire Maritime, axe de communication majeur, explique pour partie la naissance de ce nouveau centre de peuplement dont le port d'origine a aujourd'hui disparu. Le premier port de Cordemais (portum de Cordimense) est le port Saint-Nicolas qui se trouvait au lieu-dit " Le Port ", encore matérialisé sur la carte topographique IGN au 1/25.000ème. Il s'agissait d'un port d'étier, établi sur l'étier du Tertre, également appelé étier du Port, petite embouchure du marais du Lot par laquelle il était relié à la Loire. Seule la toponymie atteste de son existence ancienne, car aucun élément du paysage ne laisse supposer qu'il y eut, des siècles durant, un port en cet endroit. Les moines de Redon y fondèrent au XIe siècle, le prieuré de Saint-Nicolas qui donne son nom au Port. Au cours du XIIe siècle, les fils de Tutual, seigneur de Cordemais, firent don au prieuré de Saint-Nicolas, des parts qu'ils possédaient dans les revenus du port, consistant en voilage, péage et pontonnage. L'activité du port Saint-Nicolas est alors axé sur le commerce du sel, considéré par N.Y. Tonnerre comme le témoin de l'éveil de l'activité maritime au Moyen Âge. Á l'origine plus large et plus profond qu'il ne l'est aujourd'hui, l'étier du Port devient, au fil des siècles, devait devenir de plus en plus difficile à pratiquer en raison du colmatage provoqué par l'alluvionnement fluvio-maritime. Le site ne répondant plus aux exigences de la fonction portuaire, le port Saint-Nicolas décline puis finit par disparaître totalement sous le flot des sédiments. La rupture entre le port et l'étier entraîne avant 1850 une rupture entre le port et le bourg. Dans la première moitié du XIXe siècle, le bourg de Cordemais, situé au coeur d'un pays agricole très fertile, se trouve être le point vers lequel on dirige une énorme quantité de blés pour l'exportation maritime. Pourtant, l'embarquement s'effectue dans le port voisin de Rohars, commune de Bouée, ou bien dans le port de Lavau, à 5 km en aval. C'est pourquoi, en 1852, le conseil municipal attire l'attention du Département sur la nécessité de créer, entre Couëron et Lavau, un moyen commode d'embarquement sur le bord de l'estuaire. L'exportation des grains de la Basse-Loire vers l'Angleterre connaissant un développement considérable, le Département satisfait à la requête de la commune et décide de faire construire un débarcadère à Cordemais. Aux termes de travaux, le port se compose d'un môle, avec des escaliers latéraux pour faciliter l'accès aux petites embarcations, et d'une cale en rampe avec terre-plein à l'amont pour le dépôt des marchandises. La cale d'embarquement, prévue dans le projet initial, ne sera construite qu'en 1868. Ainsi, après des années passées sans port, Cordemais offre de nouveau un accès à toutes les embarcations employées au transport des récoltes des îles, aux bateaux des pêcheurs et aux chaloupes du petit cabotage. Dès son achèvement, le quai devient le centre actif du commerce des produits locaux. L'installation d'une presse à fourrage, pour la mise en botte des foins et roseaux des îles de Loire, va intensifier l'utilisation de la cale et du terre-plein qui finissent par devenir insuffisants pour le débarquement des récoltes. Aussi la commune de Cordemais décide-t-elle en 1881 d'agrandir le port. Quatre ans plus tard sont construits la chaussée aval, et sur le prolongement de la cale amont, une nouvelle cale de 55 m de longueur et de 15 m de largeur, protégée par des enrochements. Derrière elle, un nouveau terre-plein de 18 m de largeur, remblayé au-dessus du niveau des grandes marées, sert de lieu de dépôt pour les marchandises. Le problème de l'envasement se pose rapidement. Durant l'été 1898, d'une sécheresse exceptionnelle, la situation atteint un seuil critique : les bateaux ne peuvent plus entrer ni sortir du port ! La seule solution pour remédier à cette situation est d'attendre la première crue du fleuve qui emportera la plus grande partie des vases accumulées pendant les basses eaux de l'été. Au début du siècle, sa situation va être remise en
cause par l'administration des Ponts et Chaussées. Dans le cadre
de l'avant projet des travaux d'amélioration des accès maritimes
du port de Nantes, déclarés d'utilité publique par
la loi du 24 décembre 1903, il est prévu d'endiguer le fleuve
jusqu'à Cordemais. Les ingénieurs se rallient à ce nouveau programme en raison de l'économie considérable qui en résulte. Les travaux sont exécutés l'année suivante. Par soucis d'économie, il est réalisé une passerelle en béton armé en guise de pont, les piles se composant de simples estacades. La passerelle et le chemin, remis au service vicinal le 18 janvier 1923, permettent d'accéder au nouvel embarcadère situé dans leur prolongement en bordure du chenal de grande navigation, au milieu de l'île de la Nation. Cette cale, baptisée le " quai Neuf " par les habitants, va servir dans l'entre-deux-guerres, notamment au passage d'eau (bac) entre Frossay et Cordemais. Particulièrement dangereux en cas de mauvais temps, ce " nouveau port ", ainsi que l'appelaient les ingénieurs, est abandonné dans la seconde moitié du XXe siècle. Il subsiste toujours dans le paysage sous la forme d'un " port-relique " de l'estuaire. Á partir de 1950, le port décline, irrémédiablement atteint par le mal endémique des estuaires : l'envasement. Malgré des contraintes imposées au site, comme la fermeture de l'entrée amont du bras de Loire, la construction de la centrale thermique d'EDF apporte un nouveau souffle au port, et ceci avec la contribution de l'association des " Amis du Port " (créée en 1971). Les rejets d'eau de la centrale dans le bras de Cordemais vont entretenir le chenal d'accès en emportant les vases qui l'obstruent. De plus, la manne financière, dont la commune bénéficie dès lors, lui permet en 1982 d'aménager le port en le dotant d'appontements flottants. Une nouvelle activité nautique fait alors son apparition : la plaisance. En 1990, l'accent est mis sur la plaisance traditionnelle avec la naissance de l'OYCO (Old-Yatching-Cordemais-Océan), une association rassemblant des amoureux de vieux gréements. Grâce au concours financier de la municipalité et du Conseil Général de la Loire-Atlantique, on lui doit le plaisir de voir revivre le Reine, le " basse-indrais " le plus connu sur les lieux de pêche et le plus titré en régate (entre 1920 à 1935), sur la Loire comme sur l'Erdre. Á partir des plans de 1919 de George Lebeaupin, charpentier naval de Trentemoult qui lui donna le nom de sa femme, ce bateau a été reconstruit à l'identique par le chantier L. Fouchard à Couëron, l'un des derniers chantiers traditionnels de construction navale encore en activité dans l'estuaire. Baptisé le Reine de Cordemais le jour de sa renaissance, il représente Cordemais et l'estuaire de la Loire dans les rassemblements de vieux gréements comme " Brest 92 ". Dans le prolongement de cette action, la municipalité poursuit les efforts entrepris depuis quelques années pour le réaménagement du port et la réhabilitation de son patrimoine architectural. Ainsi, la vie est-t-elle peu à peu revenue dans le petit port de Cordemais qui a retrouvé ses couleurs. Les pêcheurs de civelles et les plaisanciers de l'été, les premiers, aujourd'hui motorisé et " électronisés ", rattrapent le temps perdu que les seconds recherchent. Sur la rive l'activité renaît également, dans la " Maison du Port " qui fait office de capitainerie, " à l'Ancre de Marine ", le nouveau restaurant au coin de la rue de la Loire ou autour des cales, libérées de leur gangue vaseuse, et qui s'offrent à nouveau au repos des carènes. L'enseignement de l'étude du patrimoine portuaire de Cordemais porte sur le fait qu'il n'y a pas un mais trois ports : un port actif, le plus visible dans le paysage, et deux anciens ports abandonnés qualifiés de paléo-ports. Cet exemple montre qu'il y a continuité depuis le Moyen Âge jusqu'à nos jours dans la relation entre l'homme et le fleuve maritime, traduite dans le paysage par le port en activité. Mais il y a aussi des ruptures dans cette continuité : la première avec la spectaculaire disparition du port médiéval Saint-Nicolas, devenu " port-fossile " et la seconde non consommée entre le port actuel et le " port-relique " de l'île de la Calotte, à mettre en relation avec la loi d'aménagement du port de Nantes de 1903. De ces ruptures dont témoignent les deux paléo-ports, on peut en déduire, d'une part, le passage d'une logique d'étier à une logique fluviale, d'où le " port-fossile ", et, d'autre part, l'inaboutissement de la logique fluviale jusqu'à son terme d'où le " port-relique ". L'existence de ces deux paléo-ports révèle aussi une double dynamique portuaire dans l'estuaire de la Loire : une dynamique longitudinale, d'origine maritime, avec un glissement des activités portuaires de l'estuaire d'amont en aval, de Nantes vers Saint-Nazaire, et une dynamique transversale, d'origine fluviale, avec le déplacement des sites " petits-portuaires " qui quittent les étiers d'origine pour les bras de la Loire.
III - Le " petit port " dans l'économie estuarienne, du Moyen Âge au XIXe siècle : un point d'articulation entre l'estuaire fluvial et l'estuaire maritime Si le petit port d'étier constitue le dénominateur commun des communes riveraines du fleuve maritime, c'est bien parce que celui-ci occupait une place importante dans le fonctionnement de l'espace estuarien : celle de relier un arrière-pays rural avec cet axe de communication ouvert sur le monde extérieur qu'est le fleuve maritime. Outil déterminant pour l'exploitation du milieu, le petit port d'étier remplissait essentiellement une double fonction halieutique et agricole. En effet, l'agriculture était riche, notamment en prairies fourragères, en culture céréales, en vignes. Le paysan estuarien était usager des ports pour ses activités liées aux îles : récolte de fourrage, de roseaux exportés vers Nantes, transport de troupeaux sur les îles ou, pour ceux du sud Loire sur les riches pâtures de la rive opposée . III.1 - Une spécialisation des petits ports selon la nature de leur trafic L'étude approfondie de la série " S " des archives départementales de Loire-Atlantique renseigne sur le fonctionnement et les usages liés aux " petits ports ". Á la lecture des documents historiques tels que les rapports d'ingénieurs ou les comptes-rendus des conseils municipaux, il apparaît une différenciation de ces " petits ports " selon la nature de leur trafic, qui reste cependant varié pour chacun d'entre eux. Le Migron à Frossay : le port aux foins Avant la construction du canal maritime de la Basse-Loire à la
fin du XIXe siècle, la paroisse de Frossay possédait les
deux ports de la Roche et du Migron. Le second, le plus important, est
celui qui nous intéresse car il occupait une situation privilégiée
à la confluence de la Loire et du rivière du Tenu, un axe
de circulation médiévale. Il constituait pour cette raison
géostratégique une importante plaque tournante à
partir de laquelle transitaient de nombreux produits circulant entre la
Baie de Bourgneuf et Nantes. Ce port permit longtemps d'expédier
vers la Bretagne tous les produits des communes avoisinantes, principalement
le vin. Le port du Migron jouait en effet un rôle primordial dans le trafic du foin issu de l'exploitation des pâturages des îles de l'estuaire, laquelle a fait en son temps la richesse des " gens des rives ". L'intérêt était surtout porté à la ressource du fourrage, le foin étant une valeur particulièrement appréciée à l'âge du transport hippomobile et de la troupe montée. Il s'en exportait par tonnes et à bon prix par la voie fluviale, à partir des " petits ports " de la Basse-Loire comme celui du Migron à Frossay. Le trafic du foin se faisait à un niveau régional, principalement vers la ville de Nantes, mais aussi à l'échelle internationale. Le mémoire d'Andouard sur " Les progrès de l'agriculture dans la Loire-Inférieure depuis un siècle " indiquait en 1889 que l'on en exportait depuis longtemps depuis les prairies de l'estuaire, notamment vers l'Algérie, citant le port du Migron au sujet d'une presse à foin. Celle-ci doit être considérée comme une véritable innovation pour l'époque et la région, facilitant les expéditions par bateau : " Depuis bien longtemps on exporte une bonne partie du foin récolté dans le département. L'Algérie était autrefois un de nos principaux débouchés. En 1842, il existait au Migron, près Paimboeuf, une machine à comprimer le foin, pour faciliter le chargement des navires. Cet outillage a été perfectionné depuis, mais tel qu'il était, il rendait déjà de très grands services ". Si ces débouchés lointains ont incontestablement eut de l'importance, en particulier pour les îles, de gros volumes étaient également expédiés vers l'important marché local : " Mes parents à l'origine ils faisaient de la viande et beaucoup de fourrage. Parce que du temps de mon père et de mon grand-père, quand ils avaient les îles, bon ben ils avaient du foin à volonté sur les îles, en ce temps là ils pouvaient mettre de l'eau quand ils voulaient. Ils avaient des îles de qualité et du travail qui était fait à la main, mais du travail qui était bien fait. Et leur principal travail, surtout du temps de mes parents et grands-parents, c'était de faire beaucoup de fourrage et de livrer du fourrage à Nantes. Ils en livraient énormément. Et tout ce foin là, une grande partie était destinée à l'armée. Donc, ils menaient ce foin là, ils avaient des toues, les grands bateaux plats de Loire, les toues ils les mettaient en couple et ils chargeaient le foin dessus. C'était amarré avec des cordages, et d'origine ils mettaient une voile pour tâcher de monter avec la marée et la voile à Nantes. Et à Nantes, il y avait des dockers qui mettaient ce foin en petites balles, en petites bottes liées à la main, il y avait du monde en ce temps là, et c'était engrangé là-bas pour l'armée, pour le transport des chevaux " . Avec son " parc " important de voitures à cheval, ses industries, son commerce, et ses régiments, la demande de la ville de Nantes était forte et l'activité des " petits ports " de l'estuaire en dépendait pour beaucoup. Après avoir vu transiter pendant des siècles un nombre considérable de marchandises diverses , le port du Migron connaîtra un arrêt brutal avec la construction du canal.
Dans son ouvrage sur la Basse-Loire, de Frossay à Bouguenais, l'historien Jean-Luc Ricordeau nous renseigne sur le port de Bouguenais et la production du vin dans le pays nantais : " Situé à l'entrée du bourg de Bouguenais, sur un bras de Loire, Port-Lavigne présentait un abri recherché par les navires. Il servait de point de jonction entre la rivière et la Loire au sud de Nantes et il y avait là plusieurs marchands de vins en gros, d'où le nom de ce port. ( ) Sur les quais du Pellerin, il existait 2 vinaigreries et plusieurs grossistes en vins et spiritueux. Ils achetaient les récoltes des paysans locaux qu'ils transformaient dans leurs entrepôts. On voyait régulièrement les employés rouler les lourds tonneaux jusqu'à la cale du bac où ils étaient stockés en attendant d'être chargés à bord des toues. Celles-ci les acheminaient pour être vendus à Port-Lavigne et à Nantes. [ ] Il y eut beaucoup de vignobles jusque dans les années 1950 dans la région. Un parasite, le phylloxéra détruisit en 1888 tous les cépages de vigne blanche. Une implantation d'hybrides (croisement de vigne américaine et française) remplaça le Gros Plant et le Muscadet ". Ce vin de remplacement, de médiocre qualité, ne trouva pas à se commercialiser et servit pour la consommation locale et la distillation. Les lois imposèrent la destruction des cépages, comme le " Noah " et l'interdiction de continuer de brûler le vin hors des distilleries industrielles. Ces mesures et la diminution du monde agricole dans nos villages ont fortement contribué à la quasi disparition de cette activité " . Le trafic du port de Bouguenais fut donc longtemps basé sur l'exportation du vin produit abondamment dans la région. Un texte de 1879 révèle que " plus de 50.000 barriques de vin étaient expédiées chaque année par le commerce local ! " Il faut également signaler une autre activité prépondérante dans ce " petit port " : la pêche. Cela remonte au Moyen Âge lorsqu'en 1397 le duc Jean IV prit une mesure bénéfique pour les habitants de Bouguenais en leur accordant le monopole de la pêche en Loire, conjointement avec ceux de Trentemoult et ceux de la paroisse de Sainte-Croix. On y pratiquait, il y a encore un demi-siècle une spécialité locale : la pêche à la " cire " (la senne) . Cette pêche s'effectuait dans un lieu précis, une belle plage située sur l'île Cheviré : " 4 équipes de 7 pêcheurs, [ ] senne de 120 m de long et 10 mètres de chute. [ ] Dès que la marée commençait à descendre une barque gagnait le large en déroulant le filet puis revenait à son point de départ. Alors les hommes débarquaient et venaient s'arc-bouter aux extrémités de la senne pour ramener la senne à terre. L'équipe suivante prenait alors la relève et terminait la baillée, permettant à la 3e de prendre la suite, puis la 4 e (récit de monsieur Cormerais, du Port-Lavigne). [ ] De la Toussaint au mois de mars, c'était l'époque de la remontée du saumon, de mars à mai, celle des aloses. [ ] et de la pêche à la lamproie qui était pratiquée au moyen de grandes nasses (les bossèles) .
Localisé à St-Jean-de-Boiseau sur un bras de Loire, la
Télindière, avec sa cale du " Pré Commun ",
à l'entrée du village, était par sa nature et sa
position un endroit en contact direct avec la Loire, où l'on pouvait
décharger les marchandises (foins, roseaux, bois et autres produits)
et embarquer les animaux qui allaient pacager sur les îles. Il s'agit
d'un ancien village de pêcheurs et de tisserands aux ruelles étroites,
qui tire son nom de l'activité de tissage du lin qui s'y trouvait
au Moyen Âge . Au XIXe siècle, la plupart des herbagers qui exploitaient les îles et rives de la Basse-Loire, habitaient la commune de St-Jean-de-Boiseau, composée de trois agglomérations distinctes et relativement importantes : Boiseau, St-Jean et la Télindière. Trois cales ont été établies pour desservir chacun de ses villages. La plus importante était celle du port de la Télindière, construite au cours de ce siècle pour aider les exploitants de Saint-Jean-de-Boiseau qui étaient contraints, pendant la saison des foins et du roseau, de déposer une grande partie de leurs récoltes sur les quais du Pellerin. L'intérêt de cette cale était de se trouver du reste éloignée des habitations, ce qui permettait d'écarter les dangers d'incendie contre lesquels s'étaient longtemps plaints les herbagers du Pellerin. La Télindière constituait donc une annexe précieuse pour le délestage des quais du Pellerin souvent encombrés et pour faciliter le débarquement et le dépôt des produits de la région dans une proportion très sensible . On notera également dans l'histoire de ce port la présence de chantiers de construction navale, dont l'un, spécialisé dans la construction de la batellerie fluviale (plates, toues ), prospéra au XIXe siècle pour finalement disparaître à la fin des années 1950. On y construisait les toues et les plates pour les herbagers et les pêcheurs de la région, mais aussi de grands chalands nantais en bois de 26 mètres de long. Ceux-ci étaient utilisés pour le transport du minerai pour l'usine à plomb de Couëron .
Localisé sur l'embouchure de la rivière du Brivet, Méan
est l'un des " petits ports " de la rive nord de l'estuaire.
Les fouilles archéologiques dans ce secteur ont montré une
occupation humaine très ancienne, révélatrice de
l'importance maritime et commerciale de l'estuaire de la Loire à
la période préhistorique et protohistorique. L'actuelle
renommée des Chantiers de l'Atlantique de Saint-Nazaire ne doit
pas faire oublier la tradition navale de ce " petit port " qui
était célèbre au XIXe siècle pour la qualité
des navires en bois construits dans ces chantiers. Au cours de ce siècle,
une centaine de navires destinés à la navigation fluviale
et océanique vont naître dans les chantiers de construction
navale de Méan. L'ouvrage de Fernand Guériff " La marine
en bois du Brivet : navires et marins de Brière " permet de
bien appréhender la spécificité navale de Méan,
ici restituée à travers l'exemple d'une famille de charpentiers
de marine et constructeurs de bateaux : les Loumeau.
- La forge Dandeau [
] employait 10 hommes pour la fabrication des
ancres et des petites pièces métalliques nécessaires
au carénage. Elle existait depuis 1847. [
]. La forge Dandeau
fournissait de longs clous à tête carrée, à
corps effilé. [
] Lorsque l'on découvre aujourd'hui le site de Méan, on rejoint la pensée de Fernand Guériff qui peine " à imaginer le trafic d'il y a un siècle, la circulation incessante des chasse-marée, les allées et venues des chaloupes pleines de tourbe, les hautes coques en construction alignées sur l'enclos, étayées par les " accores ", les longs courriers à quai ou au carénage, prêt pour un nouveau voyage, les grandes voiles qui se profilaient sur la Loire, annonçant leur arrivée par un coup de canon. " Il faut ici rappeler l'histoire de l'évolution géomorphologique de l'estuaire et le fait qu'à la fin du XVIIIe siècle, l'embouchure du Brivet était beaucoup plus navigable qu'aujourd'hui avec la possibilité offerte à des navires de 200 tonneaux d'y pénétrer avec l'aide de la marée.
Un autre petit port se distingue dans l'histoire de l'économie estuarienne, celui de Corsept près de Paimboeuf. Dénommé le port de la Maison Verte, du nom de la demeure qui s'y trouve (toujours) à proximité, le " petit port " de Corsept servait principalement, durant la seconde moitié du XIXe siècle à l'importation d'engrais et de chaux qui descendaient la Loire par gabarre en provenance de Montjean-sur-Loire. La chaux était utilisée essentiellement pour la construction,
mais c'était également un fertilisant efficace et très
utilisé pour amender les terres agricoles de la région.
En 1873, un ingénieur des Ponts et Chaussées signalera le
passage annuel " d'environ 30 bateaux chargés d'engrais et
de chaux " .
Jusqu'au milieu du XIXe siècle, la vie du port est rythmée par les saisons. Deux activités dominantes animent les cales : la pêche en hiver, et la récolte du " roux " (roseau) à la fin de l'été. Les civelles (jeunes anguilles), alors abondantes, sont pêchées par tonnes, dans le fleuve mais aussi dans les étiers qui servent de nurseries. Il arrive parfois qu'un pêcheur en ramasse en une seule nuit, plus de 1.200 kg ! Le saumon aussi n'est pas rare : il est même interdit au personnel de certaines familles aisées de manger de ce met de choix plus de 2 ou 3 fois par semaine Aloses, plies, anguilles et autres lamproies rejoignent aussi les filets des pêcheurs. La plupart d'entre eux sont des agriculteurs qui pratiquent une double activité auxquels s'ajoutent quelques pêcheurs professionnels. La flottille de pêche est principalement composée de " basse-indrais ", bateaux à voiles caractéristiques de l'estuaire de la Loire. Avec une longueur de 5,5 m, une largeur de 2 m et un poids de 500 kg, le " basse-indrais " est une embarcation polyvalente qui se distingue par un gréement et une voilure impressionnants au regard de sa petite taille. Des mareyeurs, comme Jean Toublanc, expédient en train ou par bateau, en France comme à l'étranger, saumons, lamproies et aloses, conditionnés dans des bourriches d'osier. Pour la conservation du poisson, le " petit port " de Cordemais est doté d'une glacière dont l'isolation thermique est faite avec des " courtines " (nattes de roseau tressé). À côté du monde des pêcheurs vit celui des mariniers. Ces derniers s'occupent des toues, des gabares et des barges, embarcations fluviales qui servent au trafic des marchandises. En 1912, celui-ci représente 100.000 bottes de roseaux, 6.000 quintaux de foin, environ 100 tonnes de bois de charpente et 1.200m3 de sable. De plus, 2.000 bovins sont périodiquement embarqués à bord des toues pour être transportés sur les îles et ramenés à Cordemais. Gens des champs et gens du fleuve se retrouvent ainsi autour du port qui accueille l'hiver une centaine de bateaux.
L'augmentation croissante du volume des marchandises transitant par les " petits ports " de l'estuaire va nécessiter au XIXe siècle un effort de modernisation pour permettre aux communes riveraines de faire face aux besoins nés de l'accroissement du trafic fluvial. Sauf exception pour Rohars, Lavau, et semble-t-il la Ramée, les structures portuaires des " petits ports " consistaient jusqu'alors en de simples vasières utilisées comme ports d'échouage, destinées à recevoir les embarcations à fond plat et au faible tirant d'eau, caractéristiques de la batellerie de l'estuaire. Jusqu'à la fin du XIXe siècle, les ingénieurs vont soutenir les initiatives des communes estuariennes qui veulent améliorer, entretenir ou restaurer, leurs infrastructures portuaires. En effet, le service des Ponts et Chaussées va répondre favorablement à toutes les demandes de construction des cales - ou chaussées - empierrées et maçonnées, doublées de terre-pleins pour le stockage des marchandises en attente, accessibles à toutes heures de la marée. Les demandes sont nombreuses et concernent toutes les communes riveraines du fleuve. À travers celles-ci on découvre la vie sociale et économique des terroirs de la Basse-Loire, une vie de paysan-marinier organisée autour du fleuve, principale voie de communication jusqu'à l'arrivée du chemin de fer en 1860, une vie rythmée par les marées et les courants. L'édification de ces nouvelles cales va s'étendre sur une période de 50 ans environ (de 1840 à 1890) : Méan entre 1845 et 1874, Lavau en 1850, Cordemais en 1852-53, le Migron en 1856-57, la Maison Verte, la Vieille-Douve et Rohars en 1860-62, Port-Launay en 1866, la Télindière en 1868, la Ramée en 1879 et Port-Lavigne en 1882-83. Les archives montrent que l'administration des Ponts et Chaussées va également répondre par la positive à la plupart des demandes d'entretien, de réparations des chaussées et de curage des étiers qui seront formulées par les élus ou des riverains au cours du XIXe et dans la première moitié du XXe siècle. Cependant, si l'État à la fin du XIXe siècle continue d'être à l'écoute des communautés de pêcheurs, d'agriculteurs et de mariniers, riveraines du fleuve, le développement industrialo-portuaire de la Basse-Loire tend à imposer sa logique maritime dans la gestion des aménagements hydrauliques et le visage de l'estuaire va s'en trouver profondément modifié.
1900 semble marquer un tournant dans l'histoire des " petits ports " de l'estuaire de la Loire. En effet, contrairement au XIXe siècle au cours duquel les ingénieurs des Ponts et Chaussées ont répondu positivement aux sollicitations des communes riveraines du fleuve, de nombreux témoignages démontrent un changement d'attitude de la part de l'administration quant à la question des " petits ports ". L'exemple de Lavau est significatif et la correspondance entre le conseil municipal et l'administration des Ponts et Chaussées illustre parfaitement ce qu'il convient de nommer le déclin des " petits ports ". À Lavau, le conseil municipal en date du 5 septembre 1909 attire l'attention sur la " [ ] situation lamentable où se trouve les abords du quai de Lavau et l'étier qui sert de port [ ] exhaussement de la cote [ ] recouverte d'une épaisse couche de vase [ ] l'étier est aussi complètement envasé [ ] préjudice très grand [ ] certains transports de marchandises lourdes se faisaient autrefois exclusivement par eau [ ] Le port de Lavau a une importance considérable : Voici la réponse faite par l'État le 18 décembre
1909 à travers le rapport de l'ingénieur des Ponts et Chaussées
: " [
] Le bras de Lavau présentait autrefois un chenal
assez profond [
] Les nombreux petits voiliers qui sillonnaient la
Loire pouvaient y passer et l'étier de Lavau était un excellent
abri pour ces bateaux et pour les bateaux de pêche. Tous les autres
petits ports situés entre Nantes et Saint-Nazaire étaient
dans la même situation florissante, mais aujourd'hui, la petite
navigation à voile tends à disparaître, l'industrie
de la pêche a perdu de son importance ; il ne vient plus à
Lavau que quelques voiliers d'un tirant d'eau maxi de 3,50 m pour le chargement
des pierres de la carrière, quelques embarcations de pêche
et des toues dans la période de coupe des foins et des roseaux
[
] estacade de la Garenne (carrières de Lavau) [
] Les
travaux demandés par le conseil municipal semblent exagérés
et nullement justifiés par le trafic du pays [
] " La réponse de l'administration des Ponts et Chaussées, immédiatement saisie de la plainte de Monsieur Septier (!) ne se fait pas attendre. Celle-ci apporte un éclairage particulier sur les origines de la dégradation des conditions de navigation dans les petits ports en aval de la Basse-Loire : " [
] Selon Monsieur Septier, il faudrait déboucher
la bras de Lavau en enlevant les digues qui obstruent son extrémité
amont et empêchent le jusant de traverser ce bras. Les observations
de Monsieur Septier sont très justes et c'est d'ailleurs ce qu'ont
recherché les ingénieurs de la Loire en endiguant le bras
principal. Cependant, nous ferons remarquer que si les ports de Lavau
et Rohars ont été florissants au XVIIIe siècle, au
cours du XIXe siècle par suite du jeu des forces naturelles, cette
situation s'est trouvée modifiée et bien avant les travaux
exécutés en Loire, le bras de Lavau, abandonné par
le courant s'est peu à peu envasé comme l'a fait plus en
aval le chenal de Corsept [
] qui se trouve aujourd'hui complètement
colmaté. C'est ce qui a nécessité les travaux successifs
d'exhaussement qui ont dû être exécutés en ce
temps là au môle de Lavau, en même temps qu'aux ouvrages
du port voisin de Rohars [
]. A notre sens, si les habitants des
ports situés sur le bras de Lavau avaient eu une réelle
compréhension du phénomène, ils auraient dû
hâter le comblement de ce bras [
] et chercher à raccorder
le plus rapidement possible leur village, par voie de terre au lit désormais
fixé du fleuve. [
] Voyant l'inutilité de ces nouveaux
travaux, les communes ont demandé d'autres qui ont été
régulièrement rejetés depuis lors. Cependant, [
]
pour permettre aux 9 pêcheurs de la commune de continuer [
]
nous avons récemment créé une passerelle en bois
allongeant l'ancien môle de 100 m vers le large. Elle est destinée
à être allongée au fur et à mesure de l'envasement
du bras [
] " L'un des principaux facteurs de dégradation des conditions d'accessibilité aux " petits ports " de l'estuaire reste l'incessant colmatage alluvionnaire des étiers et des bras de Loire. L'envasement de l'estuaire par des sédiments issus de l'alluvionnement fluvial et maritime est un phénomène naturel qui concerne tous les estuaires du monde. L'exemple cité précédemment de la dynamique petit-portuaire à Cordemais en est la parfaite illustration. Les aménagements réalisés par les ingénieurs des Ponts et Chaussées dans la seconde moitié du XIXe siècle ne répondront que temporairement au problème de l'accessibilité au fleuve qui reste et restera toujours posé dans l'espace estuarien. Pour s'en convaincre de nos jours, il suffit de se rendre à Couëron où la municipalité vient de réhabiliter un " petit port " à l'usage des plaisanciers locaux. Celui-ci, quelques mois après son achèvement, est d'ores et déjà complètement envasé. La vulnérabilité des sites petit-portuaires de la Basse-Loire
au phénomène d'engraissement alluvionnaire qui affecte l'estuaire
est restitué en 1924 dans ce témoignage d'un ingénieur
subdivisionnaire des Ponts et Chaussées, au sujet de l'envasement
du port de Rohars à Bouée : Il va de soi qu'un tel programme d'aménagement allait avoir des conséquences importantes sur le fonctionnement des " petits ports " de la Basse-Loire. La plupart étant installés à l'abri dans des étiers et des bras secondaires du fleuve qui contribuaient à favoriser la dispersion de l'énergie hydraulique, l'une des recommandations des ingénieurs va être le déplacement des " petits ports " en bordure du chenal unique de grande navigation. L'exemple du site-référent de Cordemais est éloquent à cet égard avec l'abandon du bras secondaire et la construction d'un " nouveau petit port " sur la Loire, qui sera abandonné quelques années plus tard à cause de sa dangerosité relative aux violents courants du fleuve, eux-mêmes provoqués par les dragages pour l'entretien du chenal unique... L'application des lois d'aménagement de l'estuaire va amener des
conflits récurrents entre les usagers des " petits ports ",
qui font entendre leur mécontentement à travers la voix
des conseillers municipaux, et l'administration des Ponts et Chaussées
chargée de mettre en application les décisions d'État.
Voici un témoignage parmi beaucoup d'autres et qui concerne Lavau
: " [
] Que votre ingénieur (M Breillac) ne me donne
pas satisfaction immédiatement, je crois le comprendre (demande
de dévasement de l'entrée du port), mais que le bateau dévaseur
soit occupé pour une période de longs mois et qu'il n'y
ai même pas la possibilité de me l'envoyer pour quelques
jours seulement, c'est vouloir traiter les gens de Lavau en parents pauvres.
Autrement dit : tout pour les uns, rien pour les autres [
] Or ici,
les vases qui obstruent l'entrée du port sont bien amenées
par les courants que MM les ingénieurs ont fait dévier de
leur cours naturel [
] " L'année 1900 marque bien un tournant historique pour des " petits ports " d'étier, condamnés à l'oubli dans les sédiments du temps, au moment où le port de Nantes s'élève contre sa condition de port de fond d'estuaire et mobilise le génie hydraulique des ingénieurs pour dompter les caprices combinés du fleuve et de l'océan. Au tournant du XXe siècle, un nouvel estuaire commence, à dominante industrialo-portuaire, un autre s'éteint doucement avec la modernisation de l'agriculture et la disparition progressive des toues.
Cet article ne constitue qu'un premier état de la recherche en cours menée par l'ethnopôle Estuarium sur l'histoire et l'ethnologie des petits ports de la Basse-Loire. Cependant, il permet d'ores et déjà de dégager un enseignement majeur dans la compréhension de l'identité territoriale de l'estuaire de la Loire : le " petit port " de la Basse-Loire apparaît en effet comme le révélateur d'une dialectique estuarienne entre les terroirs de l'estuaire fluvial et le territoire de l'estuaire maritime. Point d'articulation du Moyen Âge à la fin du XIXe siècle entre l'arrière-pays rural d'un estuaire fluvial et les ports de Nantes, Paimboeuf, Saint-Nazaire de l'estuaire maritime, le " petit port " devient au tournant du XXe siècle un point de rupture entre la logique maritime qui s'impose à l'ensemble du territoire et la logique fluviale que cherchent à faire perdurer les usagers d'un autre estuaire, au caractère rural. La révélation de l'existence de cette face cachée de la Basse-Loire, de cet " autre estuaire " inscrit dans les terroirs entre les territoires de Nantes et de Saint-nazaire, là où l'intimité vicinale semble inscrite dans la profondeur d'un temps immuable, n'est pas le moindre des enseignements à tirer de l'étude historique et ethnologique des petits ports de l'estuaire dont il reste encore beaucoup à faire Un autre apport de cette étude se situe au niveau de l'imaginaire géographique de l'estuaire et consiste dans la représentation du " petit port " comme objet de reconquête des rives de l'estuaire. En 1990, la ville de Nantes fait le constat des conséquences de l'industrialisation du fleuve sur l'urbanisme et la disparition d'une vicinalité estuarienne. Elle prend l'initiative de mettre en uvre un ambitieux programme de reconquête des rives de l'estuaire intitulé " Rives de Loire ". Pour les communes de l'agglomération nantaise, cette reconquête ripuaire passe par la redécouverte du point de contact identitaire avec le fleuve : le " petit port ". C'est ainsi que la ville de Bouguenais a décidé en 1994 de réhabiliter Port-Lavigne. D'autres communes de la Basse-Loire ont entrepris de retrouver ce lien organique avec le fleuve, telles que Cordemais ou Lavau. Quel avenir pour ces petits ports retrouvés, sortis de leur gangue
vaseuse ? Après le tournant de l'industrialisation du fleuve en
1900, celui de la métropolisation pris cent ans plus tard offrira
peut-être une nouvelle vie aux " petits ports ". Mais
la reconquête d'une identité perdue ne doit pas faire oublier
la nature de l'estuaire dans lequel le processus d'alluvionnement responsable
de l'envasement des rives traverse lui aussi les siècles, sans
se préoccuper des ouvrages d'art
La conciliation entre développement
économique, protection de l'environnement et progrès social
relève aujourd'hui d'un autre art, celui du génie politique. |